Le réalisateur de génie québécois fête ses 30 ans en ce 20 mars 2019 et c’est l’occasion pour faire un point sur son dernier film très attendu « Ma vie avec John F. Donovan » mettant en scène un Kit Harington en star du cinéma et correspondant épistolaire.
Résumé : Dix ans après la mort d’une vedette de la télévision américaine, un jeune acteur se remémore la correspondance jadis entretenue avec cet homme, de même que l’impact que ces lettres ont eu sur leurs vies respectives.
L’histoire est celle de Rupert Turner, un jeune acteur populaire qui vient de publier un livre sur son idole Jonathan F. Donovan (Kit Harrington) avec qui il entretenait une relation épistolaire durant son enfance. Le film suit donc la narration du jeune homme lors d’une interview à Prague avec une journaliste qui n’avait pas pris la peine de lire son livre. Cette dernière qui le méprise éperdument, lui reproche sa condescendance et son excès de confiance en lui…
Rupert raconte donc comment les correspondances avec l’acteur ont commencé et ont fini durant l’été de ses 11 ans. On apprend qu’il développait une véritable obsession pour John, qui aura nourri son rêve de devenir acteur également. Une fascination pour son modèle qui le rend carrément hystérique : « Je suis né pour ça ! » hurle-t-il alors devant son émission préférée. Le jeune Rupert décide ainsi de lui envoyer une lettre et par tout hasard, reçoit une réponse de sa part. De cette première réponse nait une véritable relation d’admiration réciproque et d’amitié inexplicable entre un fan et son idole. Une relation forte et tellement spéciale qu’il voudrait qu’elle ne se rompe pour rien au monde. En effet, c’est à cette période que le garçon se construit et la figure idéalisée de John lui permet d’affronter les difficultés qui viendraient porter préjudice à la concrétisation de son rêve.
Quand l’élève dépasse le maitre…
D’un côté, Rupert est un jeune garçon déterminé, il sait ce qu’il veut et qui il est. Mais cette assurance lui vaut de nombreuses moqueries à l’école notamment de la part des garçons de sa classe qui tourne en ridicule son éloquence et son manque de virilité. On est témoin du harcèlement scolaire qu’il subit, illustré notamment par une scène où il se fait battre à terre, sous la pluie. C’est dans ce contexte particulièrement difficile que le jeune surdoué prend la décision de ne pas céder, mais de se relever et de redoubler d’effort. Cette ténacité dont il fait preuve à un très jeune âge s’oppose aux doutes destructeurs que subit l’adulte qu’est John, et c’est au final un beau message de fond que de croire en ses rêves qu’importe l’âge et les critiques, et ne pas lâcher prise.
John d’un autre côte, est donc un acteur pour qui tout lui réussit et aimé de tous, mais résolument seul en vérité. Il se réfugie dans les drogues et les soirées bien arrosées pour échapper à cette mascarade dans laquelle il vit depuis déjà quelques années. D’autre part, bien plus que de ne pas assumer son homosexualité, il la refoule. La seule grande complicité qu’il maintient est avec son grand frère Jimmy, avec qui il a pour rituel de se retrouver dans le garage de ses parents pour se livrer sur ses sentiments et partager quelques éclats de rire fraternels.
Kit Harington dans le film « Ma vie avec John F. Donovan » (2018) de Xavier Dolan. TMDB.
Croyez-vous en l’étrange synchronicité ? Car tout au long de ce récit, John découvre son jeune alter égo et la face éclairée en laquelle il n’a jamais cru. Tous deux entretiennent de mauvaises relations avec leurs parents qui ne les comprennent pas, sont homosexuels, subissent les critiques de plein fouet et ont un talent inné pour le cinéma. En effet, même si Rupert ne déteste pas véritablement sa mère, il lui en veut de ne pas croire en elle car il aimerait la voir réussir. Cette grande admiration cachée à son égard, fait preuve d’une relation dichotomique marquée entre haine et amour d’une grande tendresse. Cette fascination pour la figure maternelle et la femme en général est une constante dans les films de Dolan : « La mère pour moi mère est un point de départ qui est toujours extrêmement inspirant. » confiait le jeune réalisateur à l’émission Entrée libre.
L’identité refrénée vs assumée
Dans ce film, il est incontestablement question d’identité. Les deux personnages se heurtent aux regards des autres que ce soit la mère de Rupert qui le persuade de redescendre sur terre, ou John qui vit dans le mensonge lié à sa notoriété. Le message porté par Rupert est de vivre et non de mentir, même si l’artiste se doit mentir parfois : il y a les mensonges d’une pure beauté et les mauvais mensonges qui font souffrir. Un appel d’espoir pour assumer sa singularité, croire en son talent et croire en soi. C’est en somme tout ce qu’incarne Rupert. L’homme riche et confiant qu’il est devenu ne se vante pas de sa relation avec l’acteur, mais a décidé d’en tirer le meilleur pour s’affirmer et vivre sa vie pleinement avec assurance. John a donc permis à Rupert de vivre ses rêves à travers lui, quand lui-même ne croyait pas en soi. A force de s’occuper de tout le monde sauf de lui, c’est cette idée qu’il l’a mené à sa perte. Dans un sens, il est bien de s’intéresser aux autres et de ce qu’ils pensent, mais d’un autre côté il ne faut pas se laisser assujettir : il faut s’écouter avant d’écouter les autres.
C’est en somme cette image sociale envahissante due à la notoriété qui a fait vivre John dans le mensonge car il n’a jamais su qui il était vraiment. Sa manager affirme d’ailleurs que son plus grand regret après toutes ses années à ses côtés n’était pas de là l’avoir viré, mais de ne pas l’avoir connu. L’acteur a succès est donc passé à côté de sa vie en s’inventant des barrières et des prétextes pour ne pas avouer qui il était.
Kit Harington et Chris Zylka dans le film « Ma vie avec John F. Donovan » (2018) de Xavier Dolan. TMDB.
Le réalisateur a confié qu’en écrivant l’histoire de Rupert, il s’était beaucoup inspiré de sa propre enfance. A huit ans, il écrit une lettre à son idole Leonardo DiCaprio sans jamais recevoir de réponse de sa part. La personnalité, la détermination, la passion et l’obsession sont également des points communs avec le personnage. Il assume très jeune son homosexualité, et a toujours eu confiance en lui et c’est quelque chose que beaucoup de gens lui reprochait (cf interview Konbini). Kit Harrington a confié s’être énormément identifié à son personnage de John F. Donovan… une belle coïncidence ou un choix stratégique, au choix !
Un film d’une grande sincérité, qui clame haut et fort un message d’espoir et de tolérance. Des acteurs formidables, notamment le très jeune Jacob Tremblay qui incarne le rôle du jeune Rupert. Concernant la réalisation, Dolan crée des atmosphères en jouant sur les couleurs ce qui nous offre de magnifiques tableaux, et une bande-originale mémorable qui l’accompagne (Woodkid, The Verve, Florence + the machine, Adèle, Sum 41, Strauss…).
Le québécois a déjà fixé un rendez-vous cette année pour la sortie de son prochain film « Matthias & Maxime », alors soyez présents !
0 commentaires